Serbian Holocaust
Aleksandar Ajzinberg
L'architecte Aleksandar Ajzinberg, un citoyen de Belgrade, avait onze ans quand la Yougoslavie a été envahie en avril 1941. Son père, Matvey Ajzinberg, lui aussi architecte, a été tué à Semlin Judenlager. (voir http://www.kosovoholocaust.org/page0/page0.html) Aleksandar et sa mère Greta ont survécu dans les montagnes de Homolje grâce à la protection des Chetniks de Draza Mihailovic.
Après la Libération il a appris que sa grand-mère Rozalija Konrad et sa tante Erna Soić avaient aussi survécu, en se cachant dans la maison de Mihailo Rajković, propriétaire d'un magasin de livre à Belgrade. M. Ajzinberg a publié l'histoire de sa vie dans le livre Pisma Matveju. (Lettres à Matvej)(Prosveta 2006, Belgrade)
Son récit a gagné le prix annuel de la Fédération des Communautés Juives de Serbie. Le livre se compose de lettres, dans lesquelles Aleksandar répond aux questions de son fils Matvej. Matvej vit en Israël et porte le nom de son grand-père.
Interprétation française de l'interview, paraphrasée et raccourcie.
- Alors en 1941 vous aviez…
... J'avais 11 ans
- Et vous étiez à Belgrade ?
Je suis né à Belgrade, j'ai vécu à Belgrade jusqu'au 6 avril [1941] quand Belgrade a été bombardée.
- Et ensuite ?
Je me suis enfui avec mon père, évidemment, dans un village situé à environ 50 kms de Belgrade, à Sopot. Il s'est trouvé que nous avions vécu là au moment où les troupes allemandes sont entrées dans Sopot... ma première aventure, parce que (vous le verrez dans mon histoire) j'étais...le premier à voir les troupes allemandes. Mais c'est une longue histoire. Mon père m'a battu ensuite à cause de cela. Et quelques jours plus tard, nous avons dû porter des étoiles jaunes.
- Qui vous a signalés, comment savaient-ils que vous étiez un Juif ?
Ils le savaient, parce que nous avions été enregistrés par les autorités de Sopot.
- Vous aviez dû vous inscrire ?
Oui, et c'était un petit village et chacun savait que nous étions des nouveaux venus, que nous vivions là. Je crois que nous ne nous sommes même pas attendus à ce qui allait se passer...mon père était un architecte et il avait fait un projet pour l'école d'un village près de Sopot et les paysans lui ont dit que quoi qu'il arrive aux Juifs à Belgrade et même à Sopot (il y avait autres familles juives), ils le garderont et rien ne pourrait lui arriver, parce qu'il avait fait ce projet et qu'ils l'avaient aimé.
...mais un jour la maison dans laquelle nous vivions a été entourée par les Chetniks de Pecanac et la police Serbe, nous disons Gendarmerie. Et nous avons été arrêtés par les Chetniks de ce vojvoda . [Vojvoda à l'origine signifiait un chef militaire suprême en temps de guerre, maintenant Vojvoda est souvent traduit comme "prince" ou "duc". Ce mot est à l'origine de Vojvodina, une des régions de la Serbie, omme le mot allemand Herzog (prince, duc) est à l'origine de Herzegovina]... Mon père a été accusé d'avoir des connexions avec
les Partisans.
- Et c'était quand ?
C'était d'une manière ou d'une autre, je ne sais pas. Exactement je ne me souviens pas, août 1941, peut-être... il avait l'habitude de battre ses prisonniers, terribles. Nous
n'avons pas été battus, heureusement.
- Quand vous dites 'nous' vous voulez dire votre famille ?
Mes parents avaient divorcés. Mais quand la guerre a commencé, ma mère a appris où nous étions ... et elle est venue chez nous. Et tout ce qui était arrivé entre eux, leurs désaccords, tout s'est envolé... Elle avait l'habitude d'aller à Belgrade avec de la nourriture du village, parce qu'à Belgrade il n'y avait pas assez de nourriture. De Belgrade elle rapportait des vêtements et des choses dont nous avions besoin. Comment, c'est aussi une histoire intéressante et vous pouvez la lire et la trouver dans la deuxième ou troisième lettre. [Lettres à Matvej, par Aleksandar Ajzenberg] Un jour mon père a été arreté ... et nous étions encore à Sopot dans une sorte très spéciale de prison. De temps en temps, nous pouvions aller à la maison pour changer nos vêtements et nous laver, mais il n'était pas possible de s'enfuir parce que pour voyager n'importe où, nous devions avoir un papier que nous appelions “objava”, je ne sais pas comment dire... sorte de...
- Un laisser-passer ?
Oui, quelque chose comme ça. Mais en tant que Juifs nous ne pouvions pas avoir... de carte d'identité. Ainsi nous avons dû revenir à notre prison. Et nous n'avons même pas été enfermés dans la prison. Nous avons dû nous asseoir dans le corridor. Et ma mère de temps en temps, quand quelqu'un était interrogé ou quelque chose comme çà, devait taper à la machine à écrire parce que personne ne savait comment utiliser une machine à écrire. Et elle savait taper avec dix doigts; j'ai dû mettre le bois dans leurs fours et nettoyer des pièces de la prison. Mais nous n'étions pas seuls. D'autres gens étaient aussi dans les corridors et les prisonniers spéciaux étaient enfermés dans une grande pièce.
C'était un hall de conférence dans lequel d'autres s'asseyaient et dormaient pendant la nuit. Ou ils étaient interrogés et nous tous devions être présents pendant les interrogatoires parce... je crois que vojvoda n'était pas tout à fait normal. Il aimait voir quand les gens étaient battus et la première fois que j'ai vu ça, je me suis évanoui. C'était une situation terrible. Et j'avais seulement 11 ans ... Plus tard je me suis habitué à regarder... il ne l'a jamais fait avec ses mains, deux très forts Chetniks l'ont fait,
- Avec des fouets ou des bâtons ?
Les deux... C'est une longue histoire, vous l'avez ici [dans le livre]...à la fin, nous étions libres, nous avions des faux documents, passeport.
- Comment les avez-vous obtenu ?
Le maire de Sopot. Le premier était un homme bon, mais quand nous avons été arrêtés un autre est venu et il travaillait avec les allemands; alors nous ne pouvions pas espérer qu'il nous aide. Mais un jour, quand nous étions assis dans le corridor, un homme qui travaillait dans je ne sais pas quel bureau,
- Un employé de bureau
Un employé de bureau, oui, est venu et il ne nous a pas regardés, il a regardé par la fenêtre et a commencé à expliquer : "vous devez vous enfuir, parce que vous serez envoyé au camp de concentration et tués. Faites-le maintenant!" Et ma mère, regardant aussi d'un autre côté, a dit que nous n'avions aucun papier, aucun document. Il a dit : "donnez-moi une photo si vous pouvez, je le peux faire." Comment obtenir une photo pour moi et ma mère ? De temps en temps, on nous donnais la permission de rentrer chez nous, à la maison d'un fermier où nous vivions, environ à 5 kilomètres; on nous a aussi permis d'aller dans une petite auberge, près de l'endroit où nous étions emprisonnés... L'auberge employait une femme qui faisait cuire des repas pour le voyvoda. Et son mari était un Chetnik... Il a pris son fusil et nous a amene' là et nous avons dormi dans la maison de cette femme. De l'autre côté de la rue, il y avait le magasin du photographe de Sopot. Et quand nous étions la', quelques jours après cette réunion avec cet employé de bureau, ma mère a dit à ce Chetnik, alors qu'il nous amenait à dormir là, ma mère a dit : "s'il vous plaît, aidez-nous pour les photos, les photos de moi et de mon fils. Je les veux, avant que nous soyons tués, pour les envoyer à ma famille."
Il a dit qu'il n'avait pas le temps et que cela n'était pas permis, mais ma mère a dit : "je paierai aussi pour votre photo.'" OK. Et c'était le soir, je ne sais pas, six ou sept heures, et le matin suivant, les photos étaient prêtes. Donc nous avions les photos, et nous les avons passés à l'employé de bureau. Le formulaire pour les cartes d'identité pouvaient être achetées dans n'importe quel magasin de tabac. Donc nous avions deux formulaires, et il est entré et a commencé à parler avec le maire, en buvant le café. Et quand le maire, je ne sais pas pourquoi, a dû sortir, peut-être pour aller aux toilette, il a pris le sceau, a mis les certificats en blanc sur la table et les a timbrés.
Partie II
Je pense qu'un mois avant cela, je ne sais pas vraiment pourquoi et je ne peux pas expliquer, j'avais 11 ans seulement, alors que j'étais interrogé... quelqu'un a appelé le vojvoda. J'étais assis dans son bureau et sur sa table il y avait un tas de papiers en blanc, nous l'appelions “objava”, c'est une sorte de laisser-passer pour les Chetniks : son nom, quand et où
il est né, d'où il vient, où il va, pourquoi il va là. Et sur une petite partie en bas de ce morceau de papier c'était la même chose pour les familles, les familles de Chetniks : sa femme, son fils et en bas : “avec la foi en Dieu, pour le Roi et la Patrie! Vojvoda Milija Majstorovic.” Il avait écrit son nom. Pourquoi, je ne peux pas l'expliquer, j'avais seulement 11 ans, mais j'en ai pris une douzaine and…Je ne peut pas expliquer pourquoi, mais je les ai gardés. Alors nous avions des cartes d'identité et ce laisser-passer...
Je vous l'ai dit quand nous avons parlé au téléphone, que tous les groupes n'étaient pas composés que de bon et de méchants; les groupes étaient mélangés. Et même parmis ces Chetniks qui travaillaient avec les allemands, tous n'étaient pas mauvais. Majstorovic était un homme terrible, dans tous les sens du terme, comme homme et comme serviteur des
allemands. Si vous regardez ses yeux sur la photo, vous pourrez comprendre qui, et quel homme il était.
... J'étais assis là, écoutant leurs histoires, peut-être que pendant ces jours quelqu'un grandit plus rapidement qu'en temps normal. Et certains d'entre eux ont rejoint les Chetniks, les Chetniks du Pecanac ... pour lutter contre les allemands, comme la tradition de Chetniks était de combattre les allemands. Et quand ils sont venus, et ont été recrutés, ils ne pouvaient pas s'enfuir. Certains d'entre eux ... sont allés avec les Partisans. Vojvoda était un lâche. Les Partisans n'étaient pas loin de Sopot, dans le Kosmaj, environ à 10 kilomètres. Cosmaj est une montagne. Si les Partisans durant la nuit commencaient à tirer, juste pour montrer qu'ils étaient quelque part par ici, il avait peur. Et ensuite il réunissait tous les prisonniers, donnant des oranges, et il aimait que nous baisions ses mains. “Baisez ma main, baisez les mains du Père Vojvoda, un baiser, un baiser, un baiser, voici l'orange, prend l'orange”
et il a fait des présents, il avait une boîte d'oranges et nous avons dû baiser ses mains. “Vous voyez, le Père Vojvoda est un bon homme et vous direz que je suis bon.” Si les partisans étaient proches, et quand ils ont commencé à être plus proches, il avait quelques affaires à faire à Belgrade et a quitté Sopot et est allé vite à Belgrade. Un jour, nous avons appris qu'il avait été blessé dans la cuisse et quelqu'un nous a dit qu'il l'avait fait lui-même la blessure juste pour rester à l'hôpital à Belgrade, pour ne pas être où les Partisans étaient proches.
Alors quelques protestations ont commencées parmi les gens de ce groupe. Certains d'entre eux voulaient un nouveau, un meilleur vojvoda, plus brave, qui lutterait contre les Partisans. Certains d'entre eux voulaient aller en Bosnie... Et un jour, certains officiers ... ont dit : "bien, qui veut rester ici - à gauche! et qui veut un nouveau vojvoda – à droite!" Et les gens qui veulent un nouveau vojvoda iront à Belgrade et demanderont qu'un nouveau vojoda soit nommé par Nedic;”
Je ne peux pas expliquer pourquoi Nedic, parce qu'ils n'étaient pas sous ses ordres, ils étaient sous les ordres de Kosta Pecanac... Un moment, ma mère et moi qui étions toujours dans le corridor quand cela s'est passé. Nous nous sommes regardés et nous sommes allés à droite... Et personne ne nous a demandé, "que faites-vous ici ?"
Maintenant ils savaient combien devraient aller à Belgrade, combien devraient rester. Le matin suivant : 'levez-vous, qui veut aller à Belgrade, descendez!' Ils ont partagé les munitions et les choses qu'ils avaient, je ne sais pas exactement ce qui se passait là, nous sommes descendus, ils se sont serrés les mains, ils se sont embrassés... et personne n'a rien demandé, "qui vous a ordonné de venir avec nous ?" Alors ous sommes allés à 4 kms de Sopot, à Djurinci, où était situé la gare ferroviaire.
Et nous attendions un train ... les trains n'étaient pas à l'heure parce que tous les trains avec les troupes allemandes avaient la priorité. Alors, nous attendions très longtemps...
..ensuite est venu un jeune homme que nous connaissions de Sopot. Il était un Chetnik, mais pas avec Majstorovic. Après la guerre, j'ai appris qui il était. À l'époque je ne savais pas qui il était. J'ai cru qu'il était un jeune homme idiot. Il portait un bonnet de pelage et a portait un pistolet, il était élégant et de jeunes filles le regardaient. Avant lui, quelques agents de police sont venus et nous ont demandé où nous allions, ils nous connaissaient, c'est un village et chacun sait.
Alors est venu ce jeune Chetnik... Et d'une manière ou d'une autre ma mère lui faisait confiance, elle a expliqué que nous essayons de nous enfuir, que nous avons quelques papiers, mais qu'ils sont en blanc, et que nous ne pouvons pas les utiliser. Et il a dit, 'Venez.' Je pense qu"à 20 mètres de cet endroit, il y a une petite auberge. Il est entré dans l'auberge et a dit au propriétaire, “Donnez-moi un stylo et de l'encre”... Il a dit, 'si vous ne vous taisez pas et n'apportez pas d'encre et faites ce que je demande, vous aurez des problèmes; votre maison sera brûlée.' Il l'a apporté.
Qui a rempli le formulaire et qui a mis la signature, je ne me souviens pas... Je crois que j'ai mis ma signature parce qu'à Belgrade personne ne sait à quoi la signature du Maire de Sopot ressemble. Donc nous avions des papiers. Alors est arrivé le train ... les chariots de bétail. Les Chetniks ont aidé ma mère à monter et nous sommes allés avec eux...
[Arrivés à Belgrade] Parce que nous avons voyagé avec un train lent... nous sommes allés aux toilettes, comme tous les soldats. Mais, ils ont fini leurs affaires dans les toilettes et sont revenus et nous étions encore assis dans les toilettes. j'ai pensé que nous étions restés un an aux toilettes. Et quand nous avons regardé personne n'était dans la gare... Chaque officier croyait qu'un autre donnait les ordres. Alors nous sommes sortis ... à la sortie il y avait des agents de police, ils ont regardé nos papiers, tout était OK et nous étions libres.
- Avez-vous porté l'étoile ou l'avez vous enlevé ?
Non, merci, plus d'étoiles, nous n'avions plus d'étoiles.
- Quand l'avez vous enlevé ?
...Je ne me souviens pas, mais nous n'avons pas porté l'étoile. Nous étions dans la rue, libre, mais ce jour-là, vous l'avez écrit dans mon histoire (mon histoire ici peut durer une semaine et c'est trop pour vous et pour moi) ce jour nous avons essayé de reprendre contact avec certains amis.
- Et le Chetnik que vous avez reconnu après la guerre. Avez vous appris qui il était ?
Il était un Chetnik de Draza... Il s'est enfui et quelqu'un m'a dit qu'il a vécu en Australie et qu'il est mort là ... Il portait le nom de Radojevic... Radojevic, j'ai oublié son prénom, il est écrit là. [dansLettres à Matvej]
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